Si
vous voulez citer cet article, voici les références
bibliographiques :
C. Oursel, E.
Quesney et E. Marcel, « Charles-Alexandre Lesueur, Naturaliste,
Né au Havre », Journal [Le Havre] 21 juil.
1858 : A1-E1.
ATTENTION :
Ce document a été reproduit sans modification aucune
et devrait être utilisé avec circonspection. Soyez
conscient qu’il contient plusieurs erreurs factuels et historiques,
et l’orthographe de certains noms est incorrecte.
Ritsert Rinsma
(rinsma @ charles-alexandre-lesueur. org)
[Journal
du Havre 21 juil. 1858 : A1]
CHARLES-ALEXANDRE
LESUEUR, NATURALISTE, NE AU HAVRE (1)
Dans
les dernières années du XVIIIe siècle, l’Institut
de France, toujours animé du désir d'accroître
le domaine des sciences, qui sont, pour les nations, la base de
la gloire la plus durable, conçut le, projet d'un voyage
de découvertes dans la partie méridionale de l'hémisphère
oriental.
L'Angleterre
venait d'y fonder la colonie pénitentiaire de la Nouvelle-Galles-du-Sud
: elle avait planté son drapeau sur divers points des terres
australes ; mais il restait un vaste champ ouvert aux travaux
de la science et de la géographie,
(1)
Dans sa séance du 19 mars 1838, le conseil municipal de la
ville du Havre a entendu le rapport de la commission qu’il
avait chargée d’examiner un projet d’installation,
dans les salles du Musée, des collections de feu M. Lesueur,
naturaliste, généreusement données à
la ville par ses neveux, MM. Berryer et Ed. Quesney.
Le Conseil, appréciant tout le mérite de ce travail,
qui contient une notice biographique très intéressante
sur notre célèbre compatriote, en a voté l’impression,
et a décidé que des exemplaires en seraient adressés
aux donateurs, comme témoignage de la reconnaissance de la
ville du Havre.
La commission était composée de MM. C. Oursel, Ed.
Quesney et Eug. Marcel, rapporteur.
M. le maire a bien voulu nous faire remettre un exemplaire de cette
notice, dont l’impression est tout à fait digne des
presses de M. Lemâle, auxquelles elle a été
confiée ; en ajoutant à cette publicité
celle dont nous disposons, nous croyons répondre aux vœux
et seconder les intentions du corps municipal.
(Note du rédacteur-gérant du Journal du Havre.)
[Journal
du Havre 21 juil. 1858 : B1]
dans
les immenses contrées encore inexplorées de cette
cinquième partie du monde.
Bonaparte,
membre de l'Institut, récemment élevé à
la dignité de premier consul, accueillit avec faveur un projet
qui lui fournissait l'occasion de prouver que la France, rivale
infatigable de l'Angleterre sur les champs de bataille, pouvait,
sous son gouvernement, soutenir avec non moins de succès
une lutte de concurrence dans les entreprises utiles à l'humanité ;
et au moment où l'armée de réserve s’ébranlait
pour franchir les Alpes et entrer en Piémont, il donna les
ordres nécessaires pour hâter l'exécution de
cette entreprise pacifique.
Les corvettes
le Géographe et le Naturaliste furent équipées
dans le port du Havre (1).
Le désir
de prendre part a ces voyages lointains, qui comportent toujours
un certain caractère de grandeur et de singularité,
fit rechercher avec empressement jusqu'aux moindres emplois dans
cette expédition, et l'Institut put choisir, parmi les plus
capables, les vingt-trois membres du corps scientifique qui devait
exécuter ses instructions durant le voyage.
Charles-Alexandre
Lesueur, né au Havre le 1er janvier 1778, n'avait pu obtenir
d'être admis comme dessinateur adjoint, il se fit enrôler
en qualité de novice timonier, à bord du Géographe.
Le 19
octobre 1800, les deux corvettes sortirent du port du Havre, se
dirigeant d'abord vers l'Ile-de-France, point de ralliement.
La relation
de leur voyage, en deux volumes in-quarto, sortis des presses de
l'Imprimerie impériale, et dont Lesueur a fait hommage à
la bibliothèque de la ville du Havre, nous dispense de les
suivre dans leur campagne, et permet d'apprécier la part
qui doit être attribuée à notre concitoyen dans
les résultats scientifiques qui en ont été
le prix.
Le découragement,
la maladie et la mort avaient successivement éclairci les
rangs, dans les divers comités scientifiques de l'expédition
; le novice timonier était déjà promu, par
le commandant eu chef, au poste et aux appointemens de peintre dessinateur
d'histoire naturelle a bord du Géographe, avant l'arrivée
à l'Ile-de-France. Bory St-Vincent alors chef de la section
zoologique à bord du Naturaliste a consigné dans la
relation du son voyage dans les quatre îles principales des
mers d'Afrique, en 1801 et 1802, que l'examen des devins de Lesueur
lorsqu'il visita le Géographe au Port-Louis, le lui fit considérer,
dés lors, comme un des membres le plus utiles de l'expédition.
Les causes
de l'avancement rapide de Lesueur, dans la section de peinture,
avaient exercé la même influence, dans la section zoologique,
en faveur de François Péron, a peu prés du
mémo âge, et embarqué comme lui à titre
supplémentaire sur le Géographe.
Attirés
l'un vers l'autre par une sympathie mutuelle, Péron et Lesueur
se trouvèrent à peu prés seuls en mesure de
remplir, au point de vue de l'histoire naturelle, le but de l'expédition,
lorsqu'elle atteignit les terres australes ; et c'est à
cette amitié dévouée qu'on doit sans douta
attribuer la meilleure part des succès obtenus, puisque des
vingt-trois membres composant, au départ, les comités
scientifiques, trois seulement ont revu la terre de France, après
avoir accompli le voyage en entier.
Le 25
mars 1804, le Géographe rentra dans le port de Lorient. Péron
et Lesueur, désormais inséparables dans les annales
de la science, retrouvèrent le sol natal, après trois
ans et demi de fatigues et de dangers.
Sur leurs instances, un comité de l'Académie des Sciences,
composé de MM. :
La place,
Bougainville,
Fleurieu,
Lacapède,
Cuvier,
fut chargé
d'examiner leurs collections ; et le 9 juin 1806, cette illustre
Commission présentait à l'Académie des Sciences
un rapport détaillé, auquel nous empuntons les citations
suivantes :
« Des
cinq zoologistes désignés par le gouvernement, deux
restèrent à l'île de France ; deux autres
moururent au début de la seconde campagne de maladies contractées
à Timor, et Péron resta seul ; mais soutenu par
son inépuisable énergie, avec le concours de Lesueur,
il rassembla une collection zoologique dont l'importance devient
de plus en plus manifeste.
« Elle
se compose de plus de 100,000 échantillons d'animaux, dont
plusieurs constituent des genres nouveaux, et les nouvelles espèces,
de l'avis des professeurs du Muséum, excèdent 2,500.
« Si
l'on considère que le second voyage de Cook, quelles qu'importantes
qu'aient été ses découvertes, n'a fait connaître
qu'environ 250 nouvelles espèces, et que tous les voyages
réunis de Carteret, Wallis, Furneaux, Mears et même
Vancouver, n'en ont pas produit un plus grand nombre, il est évident
que Péron et Lesueur, ont découvert plus d'animaux
nouveaux que tous les naturaliste voyageurs des temps modernes. »
Poursuivant
son rapport, Cuvier ajoute :
« Une
description, quelque complète qu'elle soit, ne peut jamais
donner une idée de ces formes singulières qui n'ont
aucun terme de comparaison dans les dessins déjà connus,
et des dessins corrects peuvent suppléer alors à
l’insuffisance du langage. C’est ce qui double le mérite
des travaux de Lesueur dont il est de notre devoir de rendre compte.
500 dessins ou peintures, exécutés par lui, reproduisent
avec une extrême précision les principaux objets recueillis
par ses soins et ceux de son ami. Tous ces dessins, faits sur nature
vivante, ou sur échantillons frais, forment la plus complète
et la plus précieuse collection en ce genre, que nous ayons
jamais connue. »
Et plus
loin :
« Vous
avez vu, par ce que nous vous avons dit des travaux de Lesueur,
à quel point il se trouve associé à ceux de
Péron ; l’Histoire de l'homme ne lui est pas moins
redevable. Tous leurs détails de l'existence des naturels.
. . leurs instruments de musique, de guerre, de chasse, de pêche ;
leurs ustensiles domestiques, costûmes, ornemens ; les habitations,
les tombeaux, en un mot, tout ce que leur industrie naïve a
pu produire, se trouve réuni dans les dessins de cet artiste
consciencieux et infatigable. »
Signalons,
en passant, ce rare, et précieux honneur pour notre compatriote
d'avoir compté parmi les historiens de son intéressante
odyssée, des hommes tels que Laplace et le grand Cuvier (2).
Tels
furent, Messieurs, les débuts de votre concitoyen Charles-Alexandre
Lesueur, dans le voyage de découvertes aux terres australes,
effectué de 1800 à 1804 par les corvettes le Géographe
le Naturaliste.
(1)
La corvette le Naturaliste était commandée par un
illustre normand, Hamelin, d’Honfleur, depuis contre-amiral.
Ce nom célèbre dans nos fastes maritimes, n’a
fait que grandir dans l’amiral Hamelin, aujourd’hui
ministre de la marine, neveu et glorieux élève du
contre-amiral.
(2)
Les biographies veulent que Cuvier soit né à Montbéliard :
la Normandie est peut être en droit de disputer la naissance
de ce grand homme à la ville qui le réclame.
Nous croyons pouvoir affirmer qu’à peine jeune homme,
Cuvier fut préposé à l’éducation
des enfans de Mme la marquise d’Erici (château de Thiergeville,
canton de Valmont (Seine Inférieure), que son premier herbier
fut recueilli sur les falaises normandes et qu’une mission
du gouvernement l’ayant appelé à Rouen, sous
le premier Empire, il s’empressa d’y mander ses parens
des environs d’Yvetot, portant le même nom que lui et
l’écrivant avec la même orthographe.
[Journal
du Havre 21 juil. 1858 : C1]
Le temps
que vous consacrez aux affaires publiques est trop précieux,
pour qu'il nous soit permis de vous faire parcourir dans tous ses
détails la carrière qu'il a suivie pendant les quarante
années qui s'écoulèrent entre cette époque
et sa mort ; mais vous avez honoré la mémoire
de Lesueur, en donnant son nom a l'une des nouvelles rues de cette
ville ; vous êtes appelés a prononcer sur une
dépense à faire pour classer convenablement, dans
les galeries de votre Muséum d'histoire naturelle, les collections
qu'il a laissées, et votre commission ne pouvait se dispenser
de mettre sous vos yeux, au moins un résumé succinct
qui justifie auprès de nos arrière-neveux ces témoignages
de bienveillante sympathie.
Le rapport
de Cuvier à l'Académie des Sciences détermina
le ministre de la marine à ordonner la publication d'un voyage
qui devait évidemment faire honneur au gouvernement et au
pays. Péron, chargé de la rédaction, se mit
à l’œuvre, et, avec l'aide de Lesueur, termina,
en 1806, le premier volume du voyage de découvertes aux terres
australes, qui fut publié l'année suivante.
Le peu
de fonds réservé pour cet ouvrage, ne permit pas d'enrichir
l'atlas de toutes les planches préparées par Lesueur.
Ce fut un désappointement pour le public, et principalement
pour ceux qui avaient eu l'avantage de voir la riche collection
de dessins du portefeuille de l'artiste, œuvres périssables
et dont la perte devait être irréparable.
Péron
avait commencé le second volume de son ouvrage, lorsque les
progrès de la maladie de poitrine, dont il avait contracté
le germe dans ses voyages, le forcèrent à s'éloigner
de Paris. Lesueur le conduisit a Nice, et, pour donner un but à
son activité, recueillit une collection intéressante
des coquilles vivantes de la contrée. Le 14 décembre
1810, Péron mourut dans sa trente-sixième année,
léguant tous ses manuscrits à Lesueur ; mais
l'esprit supérieur qui pouvait seul mettre en valeur ces
précieux matériaux n'était plus ! Lesueur
reconnut, avec sa modestie habituelle, que sa plume n'avait pas
l'éloquence de ses crayons, et la tâche de terminer
et publier le second volume du voyage fut dévolue au capitaine
Louis Freycinet, commandant la Casuarina, goélette achetée
dans le cours de l'expédition pour servir d'auxiliaire.
Ce second
volume ne parut qu'en 1816, avec un atlas exclusivement composé
de cartes et de plans. Il devait contenir 28 gravures des dessins
de Lesueur, dont les planches étaient presque terminées ;
mais les dix années écoulées depuis la publication
du premier volume avaient affaibli l'intérêt attaché
à l'entreprise, dans sa nouveauté, et concoururent
avec les malheurs de l’époque, à faire supprimer
les allocations indispensables pour compléter convenablement
une œuvre du premier empire.
Aussi
longtemps qu'il avait eu à multiplier les démarches
pour conduire à bonne fin la publication d'un ouvrage qui
devait perpétuer la mémoire de son ami, Lesueur avait
pu faire diversion au chagrin que lui causait sa perte ; mais,
en 1815, l'espoir de retrouver, sous d'autres climats, le calme
qu'il cherchait en vain dans sa patrie lui fit accueillir la proposition
do M. Wm Maclure, de l'accompagner dans un voyage aux Indes occidentales
et aux Etats-Unis.
Il visita
successivement les Barbades, St-Vincent, Ste-Lucie, la Martinique,
la Dominique, la Guadeloupe, Antigues, St-Christophe, St-Barthélemy,
St-Eustache, St-Thomas, St-Johns, Ste-Croix et l'archipel des îles
secondaires. Les animaux marins de ces régions devinrent
l’objet de ses investigations, et Lesueur fit un riche butin
parmi les poissons, les mollusques et les tortues de la mer des
Antilles.
Il avait
reconnu que dans l'étude de l'histoire naturelle, les poissons,
qui constituent un appoint considérable, avaient proportionnellement
été négligés, et que les essais tentés
de loin en loin ne faisaient que mettre en évidence tout
ce qui restait à faire pour l'ichtyologie. Il dirigea ses
recherches de ce côté, et les échantillons que
lui doit le Musée du Havre, placent déjà notre
collection en ce genre au rang des plus intéressantes et
des plus rares.
En 1816,
Lesueur et Maclure explorèrent les Etats de New-York, New
Jersey, Pennsylvanie, Maryland, Rhode-Island, Massachusetts et Connecticut.
L'accueil
qui leur fut fait à Philadelphie, où la réputation
de Lesueur l'avait précédé, l'engagea à
s'y fixer : la Société Américaine de Philosophie
n'empressa de lui ouvrir ses portes. En 1818, il fut élu
membre de l'Académie des Sciences naturelles, et devint un
des principaux soutiens de cette institution.
Il lui
soumit le plan d'un traité méthodique d'ichtyologie,
et les fonds mis a sa disposition s'accrurent avec une rapidité
qui ajoutait aux espérances des amis de la science ;
mais il fallait à Lesueur un collaborateur pour la partie
littéraire, sans laquelle les plus riches matériaux
du naturaliste ne peuvent offrir qu'un intérêt éphémère,
et n'ayant pas trouvé cet auxiliaire indispensable, Lesueur
ne put donner au public qu'un aperçu de ses travaux, dans
les articles qu'il a fournis successivement au journal de l'Académie
des Sciences naturelles de Philadelphie, durant neuf années
de résidence.
Nous
vous demandons la permission, Messieurs, de déplacer pour
un moment vos idées, et, en abaissant le rideau sur l’histoire
naturelle, de faire une excursion dans celle de l’humanité.
Les théories
du socialisme, qui ne retentirent en Europe que vingt ans plus tard,
étaient déjà passées à l'état
d'expérimentation dans la jeune Amérique.
Au milieu
des forêts de l'Indiana, sur les bords du Wabash, l'un des
plus magnifiques affluens du Mississipi, elles avaient donne naissance
à une ville nommée New Harmony.
M. Maclure,
devenu le principal soutien de l'entreprise, luttait, avec plus
de courage que de succès, contre les aspirations naturelles
de ses néophytes vers la propriété individuelle.
Il fit appel à l’amitié de Lesueur et réclama
sa présence en termes si pressans, que celui-ci ne vit plus
qu'un devoir à remplir dans cette circonstance.
Abandonnant
une position heureuse et honorée, favorable a ses goûts
et à ses talents, il se rendit, en 1828, a New-Harmony, et
se dévoua, pendant neuf années, au salut d'une entreprise
dans laquelle il n'avait personnellement aucune foi.
Cette
partie de sa vie passée, au milieu des forêts, dans
les privations attachées à l'état de société
primitive, ne fut pas perdue pour la science, et les envois qu'il
faisait chaque année au Muséum d’histoire naturelle
de Paris, d'échantillons variés des animaux, des poissons
et des minéraux du pays, témoignèrent de son
zèle pour les progres de l’histoire naturelle, et de
son attachement a la patrie.
Au milieu
des élémens discordans de la communauté de
New-Harmony, la société de Thomas Say rendit ses ennuis
moins pénibles, et les deux naturalistes, dans leurs fréquentes
excursions, trouvaient, au milieu des vastes solitudes qu'ils exploraient,
ces consolations qui naissent de l'identité de goûts
de vues ; mais les liens de l’amitié devaient
encore être cruellement brisés : M. Say mourut
en octobre 1834, et Lesueur fut d’autant plus douloureusement
frappé de cette perte, qu’il prévit dès
lors la ruine de tous les projets de publications scientifiques
qu’il avait nourris depuis son arrivée en Amérique.
La réputation
de Lesueur, autant que le désir de juger sur place l’expérimentation
du communisme, attiraient chaque année, à New-Harmony,
la plupart des artistes et savans voyageurs que l’Europe jetait
en Amérique. La bienveillance avec laquelle Lesueur dirigeait
leurs expéditions dans ces déserts, et le butin qu’il
leur procurait, ont fourni les matériaux de nombreuses publications
qui, surtout en Allemagne et en Suède, ont donné à
son nom une notoriété considérable.
Un noble
ami des sciences, le prince Maximilien de Ne[u]wied, accompagné
du peintre Bodmer, fut quelque temps son hôte et resta son
ami. Il tenta de l’emmener en Europe ; mais l'entreprise de
Maclure avait encore besoin de lui, et Lesueur fit taire son ardent
désir de revoir sa famille et sa patrie : il resta !
[Journal
du Havre 21 juil. 1858 : D1]
Un voyage
à la Nouvelle-Orléans étant devenu nécessaire
dans l'intérêt de la communauté, Lesueur descendit
le cours du Wabash et du Mississipi ; et pour utiliser les fatigues
et les dangers d'une navigation fluviale du 500 lieues, il leva
les plans et vues des principaux sites de ces rivages, avec des
notes qui devaient servir de matériaux à la rédaction
d'un itinéraire descriptif de ces contrées si différentes
alors de ce qu'elles sont aujourd'hui. Ces plans et vues, gravés
sur cuivre par Lesueur lui-même, resteront seuls, sans doute,
pour témoigner d'un état de choses qui se transforme
de jour en jour.
M. David,
consul de France à la Nouvelle-Orléans, eut peine
à reconnaître Lesueur, dans le Robinson dont le crayon
de Bodmer nous a transmis la fidèle image et qui venait lui
confier le soin de faire parvenir au Muséum de Paris de nouveaux
échantillons d'histoire naturelle.
Il se
fit l'interprète éloquent de toutes les raisons puissantes
qui devaient arracher Lesueur à ses déserts et le
rendre à son pays. Ce fut en vain ; remontant les fleuves
qu'il venait de descendre, Lesueur rentra à New-Harmony,
mais la situation dans laquelle il trouva la communauté,
le fit songer à rentrer en France.
Avant
qu'il ait revu, après 22 ans d'absence, les hautes falaises
des rivages normands ; avant qu'il ait respiré les senteurs
vivifiantes de la patrie, nous avons voulu, à l’imitation
de ces prêtres d’Egypte qui s’érigeaient
en juges des morts, demander raison à la mémoire de
Lesueur de ses tendances pour les rêves de New-Harmony :
L’étude
des œuvres infinies de Dieu exalte l’âme de l’homme
qui vit penché sur les abîmes vertigineux de la mystérieuse
nature ; l’âme contracte dans ce contact religieux
avec toutes les existences tombées de la semence divine,
nous ne savons quelle tendresse merveilleuse qui la rapproche par
la bonté de celui qui a tout créé et la purifie
des passions inhérentes à l’humanité.
Lesueur était donc disposé par les entraînements
mêmes de ses études pour cette vie des apôtres,
ascétiques jusqu’à supprimer le corps à
la glorification de l’âme et de l’esprit.
Ces natures
toutes d’amour et de sympathie ont dépouillé
l’ange déchu.
Aussi
veulent-elles vivre libres et indépendantes de tout intérêt
humain ; rien ne leur appartient, tout est aux autres, et c’est
à peine si elles daignent ramasser dans les agapes communes
la miette de pain de Lazare.
Vous
voyez, Messieurs, que n’entre pas qui veut à New-Harmony,
et qu’il y a bien loin de ce pur commerce de l’esprit
aux saturnales anti-sociales des ateliers nationaux.
Votre
commission, Messieurs, en commettant cette page de la vie de Lesueur,
a voulu témoigner de cette impartialité que l'on doit
aux morts, heureuse qu'elle ne lui ait révélé
qu'un titre de plus pour notre modeste héros à l'estime
des vivans.
Rentré
a Paris en 1838, possesseur d'un fonds de matériaux pour
l'histoire naturelle, le plus riche peut-être qu'un homme
seul ait jamais rassemblé, Lesueur ne prétendait pas
l'honneur exclusif des publications dont il avait fourni les élémens ;
mais il en voulait sa part, et rebuté par les exigences des
hommes spéciaux, il résolut d'entreprendre seul une
tâche immense.
A soixante
ans, il s'assit sur les bancs de l'école de Jacob, pour se
faire initier dans l'art de la lithographie qui lui promettait un
auxiliaire prompt et économique.
C'est
à l'aide de ce nouveau talent qu'il publia, en 1843, le tableau
des vues et coupes du cap de la Hève.
Voici
à quelle occasion :
Dans
un ouvrage alors nouveau, un géologue en réputation
(1) avait avancé que les couches géologiques
do l'embouchure de la Seine ne présentaient aucun intérêt
au point de vue des débris organiques antédiluviens.
Lesueur, ému d'une erreur aussi étrange, entreprit
l'exploration du massif de la Hève, en tira d'innombrables
échantillons fossiles appartenant aux genres les plus variés
depuis les monstrueux sauriens jusqu'aux microscopiques madrépores
et dessina sur nature plus de 80 variétés, que le
tableau que nous venons de citer a fait connaître au public
et dont les originaux sont maintenant dans les galeries de la ville,
a laquelle il dédia son ouvrage.
Nous
serions ingrats, Messieurs, en ne nous arrêtant pas une minute
sur ces travaux accomplis sous nos yeux mêmes.
N'avez-vous
pas pu voir, en effet, notre savant et courageux compatriote enlever
dans ses bras, doublés par le concours de l'un de ses neveux,
les animaux d'avant le déluge, engloutis dans les rochers
de la Hève, comme si Dieu n'avait laissé à
ces êtres voués à l'extermination que le choix
de leur dernier asile, l'abîme du rocher ou l'abîme
de la mer ?
Lesueur
ressuscitait, dans ses veilles, ces curieuses pétrifications,
la pierre muette s'animait dans ses mains : sous le souffle
de ce nouveau Prométhée, la Hève se transformait
pour ainsi dire en un squelette gigantesque.
Absorbé
dans les mystères de cette bible souterraine, les heures
de la nuit ne sonnaient plus à ses oreilles ; vous l'eussiez
vu penché sur les vertèbres d'un saurien, passé
trois heures du matin !
Non pas
sans témoins, non pas sans compagnie :
Le règne
animal s'était fait représenter, dans ces recherches
si intéressantes pour son histoire, par deux araignées,
toujours fidèles au rendez-vous de la lumière, et
que les ténèbres seules ramenaient dans leur logis.
Tant
de travaux, tant d’œuvres, malgré la modestie
de Lesueur, ne devaient pas rester sans récompense ;
aussi la croix d'honneur lui fut-elle décernée. On
peut dire qu'il était du nombre de ces hommes qui honorent
les distinctions qui leur sont accordées.
Cependant
la ville du Havre avait élevé, sur remplacement de
l’Hôtel-de-Ville de François 1er, un monument
consacré aux sciences et aux arts.
Le Musée-Bibliothèque,
pauvre de livres et privé de tableaux, laissait disponibles
de vastes galeries. L'Administration municipale les destina aux
collections d'histoire naturelle, que la position maritime du Havre
et ses relations avec le monde entier devaient enrichir de jour
en jour.
Mais
il fallait un homme spécial, dont les connaissances pussent
imprimer à cette création une direction conforme aux
méthodes adoptées par la science, et apporter dans
le classement des innombrables richesses de l'histoire naturelle,
l'ordre indispensable pour en faciliter l'élude et encourager
les donations.
M. A.
Lemaistre, alors maire du Havre, fit appel au concours de Lesueur,
qui fut nommé, en 1845, conservateur du Muséum d'histoire
naturelle.
Ses connaissances
variées et son infatigable activité produisirent les
plus heureux résultats, et les collections attirèrent
bientôt l'attention des savans et la faveur du public.
C’est
au milieu de ces travaux que la mort l'enleva, le 12 décembre
1846, à l'estime et à l'affection de tous ceux qui
l'ont connu.
Artiste
aussi consciencieux qu'habile, Lesueur a conservé tous les
originaux des échantillons que son crayon a reproduits, à
l'exception des méduses, qui ne sont pas susceptibles de
conservation prolongée ; et, pour apprécier l'importance
des collections qu'il a laissées, il suffit de considérer
la carrière qu'il a parcourue.
Ses neveux
ont compris que diviser cette œuvre d'une vie entière,
c'eut été la détruire, et, repoussant les offres
qui leur ont été faites pour traiter de séries
distinctes, notamment de celles des tortues, des poissons, des unio
(ou coquilles), ils ont fait don à la ville du Havre de quarante
caisses, contenant les fruits de quarante ans de travaux dans les
contrées les plus diverses, à la charge de les classer
convenablement dans les galeries du Musée, pour en faire
jouir le public et le monde savant.
Nous
ne saurions, Messieurs, témoigner trop de gratitude à
l'honorable famille de Lesueur, pour cette patriotique et libérale
offrande.
Espérons
que ces nobles exemples trouveront des imitateurs parmi ceux d'entre
nos conci-
(1) M. Antoine Passy.
[Journal
du Havre 21 juil. 1858 : E1]
toyens
qui rayonnent de ce rivage vers tous les points du globe.
Si votre
commission croyait pouvoir appliquer un mot féodal à
un vœu expression de science et de progrès, elle demanderait,
à titre de péage, à chaque navire dont les
couleurs, au retour, se hissent devant notre Musée, un souvenir
de terres lointaines où il a jeté ses ancres.
Apres
tout, le Musée du Havre, aux droits du Logis du roi François
1er, peut bien se poser en prince et affecter des fiefs.
Mais,
en attendant que cette dîme de l'avenir s’ajoute à
nos richesses, il convient de préparer l'hospitalité
a celles amassées par Lesueur.
En conséquence,
votre commission a l'honneur de vous proposer l'adoption des résolutions
suivantes :
1°
Une somme do 8,000 fr. sera inscrite au budget supplémentaire
de 1858, à l'effet de pourvoir aux dépenses nécessaires
pour installer dans le Musée du Havre la collection d'histoire
naturelle offerte à la ville par la famille Lesueur ;
2°
M. le maire est prié de vouloir bien adresser aux honorables
donateurs une expédition de la présente délibération.
Présenté
au Havre, le 19 mars 1858.
C. Oursel.
– Ed. Quesney. – Eug. Marcel, rapporteur.
C. Oursel, E. Quesney
et E. Marcel, « Charles-Alexandre Lesueur, Naturaliste, Né
au Havre », Journal [Le Havre] 21 juil. 1858 : A1-E1.
Reproduction : Ritsert
Rinsma (rinsma @ charles-alexandre-lesueur. org)
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