Charles-Alexandre Lesueur :

Mise en chantier d'une B.D. illustrant sa vie de voyageur et de savant

(article reproduit avec l'aimable autorisation de la revue Jeune Marine)


Où il nous faut commencer par le capitaine Baudin.

Le 25 mars 1804, la corvette le Géographe ralliait le port de Lorient au terme d’un périple d’exploration dans les mers australes long de trois ans et demi. Elle rentrait seule. Sa conserve, le Naturaliste, était déjà revenue de Sydney un an auparavant, chargée d’une belle moisson d’échantillons. Le commandant de l’expédition, lui, n’était pas à l’arrivée. Comme Magellan en d’autres temps, il était mort au loin. A l’Ile-de-France. Son nom : Nicolas Baudin (1754-1803).

Un capitaine découvreur un peu particulier que ce Baudin. Une figure, un caractère ! Un aventurier et un autodidacte : aventurier, si l’on se réfère aux méandres de sa carrière maritime plus civile que militaire, lui ayant fait servir son patrie aussi bien que l’empire austro-hongrois ; autodidacte pour ce qui concerne son indéniable culture géographique et scientifique. En bref, un homme passionné, emporté et entêté au point de désirer toujours y retourner voir…

Ce voyage, n’était pas pour lui un coup d’essai. Décrété par le Premier Consul, il n’en suivait pas moins un plan de campagne : le sien. En conséquence, il eût été naturel que le succès de l’équipée le fût également. Pourtant la postérité eut toujours du mal à lui trouver sa place sur l’étagère aux masques de cire, et même à ne pas l’égarer tout à fait. Cette hésitation résulta de la franche mauvaise réputation que d’aucuns, parmi ses passagers et équipage, se chargèrent de propager allègrement au retour ; à propos de laquelle, lui disparu, il n’eut jamais l’occasion d’établir sa vérité. Un chef jaloux de son autorité donc, de ses décisions nautiques comme de ses propres avis scientifiques face à des officiers estampillés du grand Corps, face aussi à des savants imbus de leur cérébralité, peu enclins à admettre un intrus au sérail.

Ajoutons qu’alors, la France était convalescente (le départ du Havre-de-Grâce eut lieu le 19 octobre 1800). A peine sortis de la tourmente révolutionnaire, les esprits avaient du mal à remettre leurs idées à l’endroit. Maintenant, Bonaparte allait enfanter Napoléon ; l’époque était à la guerre en Europe, qui ne s’arrêterait jamais que pour recommencer.

Par ailleurs, et ceci à la décharge de Nicolas Baudin, convoyer à la mer une escouade d’intellectuels en « recherche » n’est jamais une sinécure, quels que soient les siècles…, sauf allégeance complète du capitaine, une situation devenant rapidement problématique.

Cependant, les résultats de la mission étaient remarquables. On avait reconnu la côte occidentale et méridionale australienne, établi des cartes (étonnamment) précises, prélude à des travaux d’exploration plus complets.

Bien sûr, il y avait été croisé la concurrence anglaise. Le fait est qu’elle était omniprésente sur les mers et que l’ère de la reconnaissance de la planète s’accélérait. Mais les deux rencontres avaient été celles de gentlemen et d’hommes de savoir, leurs sauf-conduits les préservant des vicissitudes de la politique. Matthew Flinders, puisqu’il s’agit de lui, s’en venait dans les parages pour la seconde fois (avec Bass, trois ans auparavant, ils avaient réalisé le tour de la Tasmanie). Cette fois, il allait effectuer, à la suite des effleurements de la grande île par les grands prédécesseurs, la première circumnavigation serrée de la Nouvelle-Hollande, future Australie. Cependant, lui aussi, aurait bientôt à maudire le nom de l’Ile de France où les Français le retiendraient prisonnier…

Les deux navires s’en revenaient chargés à barroter. Il avait été fait une collecte impressionnante de spécimens en matière de faune, de flore, etc. Les sciences naturelles surtout, les sciences humaines dans une moindre mesure, s’enrichissaient exceptionnellement grâce aux zoologistes, botanistes embarqués – et à Nicolas Baudin. Leur renom serait assuré. La carrière de quelques officiers du bord également, que l’on retrouvera ensuite. La réputation et la mémoire de Baudin, elles, plutôt vilipendées.

Toutefois, l’équipe des spécialistes, pléthorique au départ du Havre, s’était rapidement disloquée, débandée. Trois seulement parmi eux rentrèrent en France en 1804. Le fruit du mérite revint, finalement, et surtout, à quelques-uns. Le compte-rendu général, établi postérieurement – sa parution débuta en 1807 et se poursuivit jusqu’en 1816 – fut l’énorme travail de quatre talents complémentaires :
- deux hommes fort brillants au demeurant, un terrien et un marin, le médecin, François Péron, un disciple de Cuvier, et l’enseigne du Naturaliste (promu lieutenant de vaisseau en mars 1803), Louis de Saulces de Freycinet qui, lui-même, conduirait bientôt une expédition scientifique retentissante de 1817 à 1820,
- deux illustrateurs non moins marquants, Nicolas-Martin Petit et Charles-Alexandre Lesueur.

Précisons à la suite : premièrement, que Péron et Freycinet allaient se révéler d’acharnés critiques à l’encontre de Baudin et qu’ils seraient, dans cet exercice, très efficaces ; deuxièmement, qu’aux côtés du jeune Lesueur, Petit, à peine son aîné d’un an, ne saurait être oublié par le moindre esprit d’exclusive (de clocher) dans la réalisation iconographique de ce rapport.

 

Où l’on en arrive néanmoins à Lesueur, le Havrais. Son aventure en quelques traits.

Il a 22 ans en 1800. Il embarque au Havre sur le Géographe comme aide-canonnier. Bien que l’effectif passagers comprenne trois peintres-dessinateurs officiels (Milbert, Garnier, Lebrun) – qui débarqueront plus ou moins malades dès la première touchée à Port-Louis – Lesueur et Petit semblent avoir été embauchés – par-dessus bord ? – par Baudin. Celui-ci a prévu de les utiliser pour l’illustration de son propre journal. C’est donc la défection, à l’Ile de France en mars 1801, des artistes attitrés qui désigne nos jeunes pour les remplacer. Heureux aléa de l’histoire.

Si Nicolas-Martin Petit a suivi quelque peu l’enseignement du peintre David, notre jeune Charles-Alexandre ne possède pas de formation artistique attestée. Il a un don pour le dessin et le penchant pour l’exprimer. Plus tard, on le sait, sa curiosité insatiable lui fera ajouter la passion de naturaliste. En 1815, notamment, il quittera la France avec une expédition à destination des Etats-Unis. Il y demeurera jusqu’en 1837 avant de revenir au pays définitivement. Là, il poursuivra encore ses travaux de chercheur (géologie, paléontologie...). Enfin, il mourra à Sainte-Adresse en 1846 à l’âge de 68 ans.

Voilà l’aperçu de ce que fut la carrière de C.-A. Lesueur. Il mériterait, assurément, d’être mieux connu chez nous.

Il l’est pourtant aux antipodes, comme Baudin, Freycinet, Péron, etc. En Australie, ils occupent d’aussi bonnes places sur l’étagère que les navigateurs anglais car tous ont également contribué à faire prendre forme à la grande île. Se pourrait-il qu’en France, la renommée bégaie parfois et fonctionne à occultations, tel un phare ?

Le Havre ne l’oublie pas, certes, mais c’est sa ville natale vers laquelle il s’en retourna comme l’enfant prodigue. A ce titre, elle est privilégiée. Le Muséum d’Histoire Naturelle – il en a été le premier conservateur en 1845 – a rassemblé, depuis un siècle au moins, un important fonds à son sujet, sur ses voyages austral et outre-atlantique en particulier. Un patient travail de classement et de mise en valeur a été entrepris depuis des années. Une « Salle Lesueur » sera ouverte au printemps 2007 venant récompenser beaucoup d’efforts.

(Rappelons qu’un ouvrage magistral fut publié en 2000 (voir Jeune Marine n° 151 - nov. / déc. 2000) dont la sortie coïncidait avec le bicentenaire de l’expédition de 1800. Pour la première fois paraissait, dans son intégralité, le journal de voyage du commandant Baudin abondamment illustré de planches en couleurs exécutées par Lesueur et Petit. Bien que le texte très dense ne soit pas d’une lecture très facile, l’ensemble n’en constitue pas moins une référence et vaut d’être recherché. Ses références :

MON VOYAGE AUX TERRES AUSTRALES. Journal personnel du commandant Baudin illustré par Lesueur et Petit – Texte établi par Jacqueline Bonnemains, conservateur de la collection Lesueur, Muséum d’Histoire Naturelle du Havre. Avec la collaboration de Jean-Marc Argentin, du Muséum, et de Martine Marin, journaliste et traductrice. 2000. 467 p. Nombreuses planches en couleur. Imprimerie Nationale Editions. Prix : 64 €.

Le Géographe et le Naturaliste par Yves Boistelle

Et maintenant... Ou quand le voyageur dessinateur naturaliste, l’observateur inlassable, le chercheur invétéré peuvent devenir un héros moderne de bandes dessinées.

Il s’est trouvé, en fait, que Charles-Alexandre Lesueur a tapé au cœur de trois Havrais. Tous trois, parfaitement complémentaires de par leurs spécialités, se sont donné pour défi de le réanimer à leur façon. De le rajeunir, de le rendre « grand public » ou populaire en quelque sorte.

Sachant que le sérieux de leur entreprise ne fait pas défaut, que leur engouement pour le personnage est réel, qui sont-ils :

- Yves Boistelle est professeur de dessin et de technologie. Il est aussi artiste. Entre autres cordes à son arc, il a déjà réalisé, en collaboration, plusieurs albums à caractère historique. A voir ses premières esquisses, le scénario l’inspire.

- Hervé Chabannes est archiviste et bibliothécaire. La recherche historique est son domaine de prédilection. Précisément, son mémoire de maîtrise sur le père de Lesueur a déjà été distingué en 2004 et 2005, en attendant la parution d’autres travaux universitaires en cours.

- Ritsert Rinsma est professeur d’anglais et d’histoire. Il a enseigné la civilisation britannique et américaine dans les universités de Caen et du Havre. Lesueur est aussi son bébé dont il s’apprête à faire paraître une importante bibliographie.

Ainsi, Alex l’Explorateur – comme ils le baptisent – semble bien parti pour conditionner, sinon imprégner leur vie pour un bon moment.

Ritsert Rinsma et Yves Boistelle sur la plage du Havre

Hervé Chabannes devant la sortie du port du Havre

 

Ce chantier, quel serait-il ?

Une B.D. Une fresque en couleurs autour de la carrière d’ « Alex » dont on peut prétendre qu’elle fut aussi une aventure, soit trente-sept années pendant lesquelles le travail scientifique s’est conjugué avec le mouvement, l’inconnu, l’exotisme, le risque. Voilà des ingrédients susceptibles de séduire vieux et jeunes lecteurs. L’ensemble comprendrait trois périodes :

- La première qui serait celle de l’expédition vers les mers australes (1800-1804). Elle devrait être intitulée La Malédiction du Serpent (2 tomes).

- La seconde, qui couvrirait la période allant du retour en France jusqu’en 1825. (A cette date, il parcourt déjà les Etats-Unis). Le titre : Rendez-vous à Philadelphie.

- La troisième : Voyages en Utopie, qui poursuivrait la description du séjour américain toujours aussi itinérant avant les dix dernières années havraises de l’homme d’étude.

La ville du Havre et le Muséum soutiennent naturellement nos Mousquetaires. Ainsi que l’Education Nationale. Au-delà du simple divertissement, il est indéniable que la bande dessinée détient un pouvoir d’acculturation sans douleur. Elle représente un moyen d’expression, nerveux, expressionniste, vivant. Les possibilités en matière pédagogiques qu’elle offre vaudraient sans doute d’être mieux explorées.

Le Centre Havrais de Recherche Historique accompagne également cette initiative.

Down Under, là-bas en Australie dont on a dit qu’elle restait sensible à tout ce qui évoque sa naissance à l’histoire ; en Amérique du Nord, où « Alex » a séjourné plus de vingt ans, il y a lieu de croire également à un bon accueil.

Gageons d’une suite heureuse à leur travail. Prenons patience tout de même. Il n’était pas inutile, nous a-t-il semblé, de présenter leur projet. Ni inutile de retracer le tout premier voyage d’exploration français du 19ème siècle mené par le 'grommeleux' Baudin.

 

André Bignault

 

C.-A. Lesueur Alex l'Explorateur
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